Des mots et des actes : Les belles-lettres sous l'Occupation Jérôme Garcin
Le temps n'est certes plus à l'admiration béate des créateurs, à la séparation de ce qu'ils sont et de ce que leur oeuvre donne à connaître et à admirer. Mais cette double vision, plus pénétrante, fut, pour Jérôme Garcin comme pour d'autres de sa génération, un apprentissage : "À l'adolescence, j'attendais de la littérature à la fois un refuge et un horizon. Je lui demandais de l'aide, je ne lui demandais pas des comptes." Les coulisses de ce théâtre de signes n'étaient pas toutes reluisantes ; et des mots aux actes - c'est bien l'axe de ce livre - il y avait un écart qu'il s'est avéré impossible sinon de combler, du moins d'ignorer. Dans cette passionnante revue d'effectifs des "belles-lettres" sous l'Occupation, qui s'appuie sur une connaissance fine des sources de l'histoire littéraire, Jérôme Garcin ajuste son regard, nos regards sur cette époque en clair-obscur, à l'aune de quelques-unes de ses plus hautes figures morales et intellectuelles - avec l'admirable Jean Prévost tout en haut de l'échelle. Ce questionnement par l'exemple sur la responsabilité de ceux que leurs écrits ont fait briller et qui se sont compromis s'adresse autant aux auteurs de ce temps qu'aux lecteurs d'hier et d'aujourd'hui. Car on a beau se garder de vouloir porter des jugements après coup, se répéter que le dossier est documenté depuis longtemps, on ne peut s'empêcher d'éprouver un persistant malaise à l'évocation de cette arrière-cour des catalogues et à l'égard de cette ignorance feinte, voire d'une certaine complaisance, sur laquelle ont pu et pourraient encore reposer certaines de nos passions littéraires. C'est à mieux saisir cette "part des autres", tantôt sombre, tantôt lumineuse, que Jérôme Garcin s'attache ici, en évoquant les figures de Brasillach, Céline, Chardonne, Cocteau, Morand ou Rebatet, et toujours à la lumière des engagements de Kessel, Lusseyran, Mauriac, Paulhan ou Jules Roy.
Jean-Louis Bourlanges : Je vous recommande ce livre de Jérôme Garcin, qui tente de répondre à la question de Proust (dans « contre contre Sainte-Beuve ») : une œuvre est-elle indépendante de la vie de l’auteur qui l’a produite ? Garcin a longtemps pensé que oui, mais a fini par changer d’avis, et dans ce livre il situe un ensemble d’écrivains dans l’histoire de l’Occupation, et c’est un festival, ou quelques héros côtoient des collaborateurs assez ignobles, comme Paul Morand ou Robert Brasillach … Doit-on pour autant ne plus les lire ? Je crois une non. De Gaulle avait raison de condamner Brasillach en tant que figure intellectuelle, en tant que chef, ayant entraîné dans son sillage nauséabond des milliers de gens. Mais quand ils ont du talent (et dans le cas de Morand c’est incontestable), il faut continuer de lire les écrivains, car comme le disait Blaise Pascal : « cela est d’un autre ordre ».
Ce livre est recommandé par : Jean-Louis Bourlanges, Elisabeth Philippe
Ce livre est mentionné dans :
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