Mémoires interrompus Bertrand Tavernier
Bertrand aimait écrire. Il lui fallait penser à ses Mémoires, vous les avez entre les mains. À l’écran, le monumental Voyage à travers le cinéma français, cette introspection menée dans son propre passé cinéphile, mit du temps à mûrir : c’était pourtant à lui qu’il revenait de raconter cette histoire mais sans doute la fierté d’en avoir la charge se mêlait-elle à une retenue qui, contrairement aux apparences, était un trait frappant de son caractère. En revanche, il prit seul la décision de rassembler ses souvenirs. Est-ce parce qu’il a senti que chaque nouveau projet de cinéma serait un combat difficile (comme ce scénario américain qu’il venait d’écrire avec Russell Banks et qu’il ne parvint pas à monter) que cet hyperactif a décidé d’entreprendre son autobiographie – ou, pour reprendre l’une de ces litotes contemporaines qui nous faisaient rire tous les deux, le “récit de soi” ? Jamais il n’aurait renoncé à réaliser un film de plus, à créer une fois encore. Mais puisqu’il a choisi d’écrire, il faut considérer ce texte comme faisant partie de son oeuvre. Car à lire les émotions d’un jeune cinéphile, les débuts d’un cinéaste qui deviendra majeur, à se délecter d’un texte plein de verve et de vie d’un pur écrivain, à voir revivre sous sa plume des comédiens ou simplement des personnages fondamentaux du cinéma français, à redécouvrir ce que furent la défense des auteurs et la lutte contre la colorisation des oeuvres, les engagements d’artiste et les désillusions politiques, à sa façon d’exhumer le monde englouti de la France des années 1950-2000, on regrettera seulement, malgré les six cents pages déjà noircies, qu’il n’ait pu choisir de mettre lui-même le point final à une confession qu’on a rarement vue aussi intense. Et l’ouvrage refermé, nous aurions aimé pouvoir lui dire qu’au sein des grands livres écrits par des cinéastes, il venait de rejoindre les auteurs qu’il aimait.
Philippe Meyer : L’Institut Lumière et Actes Sud publient ces Mémoires interrompus de Bertrand Tavernier. C’est aussi passionnant que son Voyage au cœur du cinéma français, on y retrouve la qualité de la mémoire et l’ampleur du regard de l’auteur. C’est à la fois sa ville, Lyon, son enfance, son entrée dans le cinéma, d’abord comme spectateur glouton, puis comme attaché de presse (de Jean-Luc Godard entre autres), ses premiers films, l’importance du soutien de Philippe Noiret … Plus largement, c’est tout le monde du cinéma, avec les films, les producteurs, les acteurs, les techniciens, la cantine des tournages, qu’on retrouve dans ce livre, avec la générosité de Bertrand Tavernier. Et bien que le livre soit assez épais, il se termine très tôt, avec Un dimanche à la campagne, qui est l’un de ses films que je préfère. Mais c’est une bonne chose que le livre se termine sur ce film, que Bertrand a fait (et réussi) contre toute raison, et qui lui avait valu les insultes les plus répugnantes de certains journaux.
Ce livre est recommandé par : Philippe Meyer
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